Rien de plus difficile que de connaître avec quelque précision la population de Paris avant 1789. L’usage avait prévalu de compter par paroisses et par feux – le feu ou foyer représentait théoriquement une famille de cinq personnes – et on arrivait ainsi à des résultats qui pouvaient suffire aux médiocres exigences de nos aïeux en matière de statistique, mais ne présentaient en réalité aucune garantie.
Aussi, un document de l’année 1328, en se basant sur ce fait que les villes de Paris et de Saint-Marcel, distinctes à cette époque, renfermaient 35 paroisses et 61 091 feux, fixe la population à 305 455 habitants. Ce chiffre est évidemment exagéré, et pour le rendre à peu près exact, il faudrait le réduire de moitié.
On prenait aussi comme principal élément de statistique, le chiffre des hommes d’armes que pouvait fournir Paris .
Sous Louis XI, lorsque le décret d’asile eut ramené à Paris tous ceux qu’an avait éloignés la guerre civile, le roi compta dans une revue près de 80 000 soldats, équipés avec soin, pleins d’ardeur sur le champ de manœuvres, et que sa bonne ville mettait à sa disposition, en cas de guerre. Ceci représente une population de 250 000 habitants environ.
Elle n’avait pas beaucoup augmenté, en 1590, puisque la garde bourgeoise était alors de 100 000 hommes que l’on vit parader, armés de sabres rouillés, de mousquets hors d’usage et même d’ustensiles de cuisine, dans les processions militaires organisées par le Ligue.
Cent ans plus tard (1700), la population de Paris atteint 530 000 habitants. Elle n’augmente que de 110 000 habitant pendant tout le XVIII° siècle. En effet, le chiffre donné par les Archives nationales pour 1798 est de 640 504.
Le premier recensement officiel, effectué d’ailleurs dans d’assez mauvaises conditions, a lieu au mois d’octobre 1801, et on constate une diminution, difficile à admettre, de près de cent mille habitants. Un très curieux opuscule, Tableau de l’an VIII, nous apprend qu’il y avait alors à Paris 100 médecins, 80 banquiers et 400 écrivains. Ajoutons, pour compléter par un détail caractéristique ces indications, 116 626 indigents.
A défaut de renseignements précis et qui puissent inspirer confiance – car les chiffres eux-mêmes en ce temps-là sont serviles – je crois qu’on peut admettre que la population de Paris, sous le premier Empire, diminue ou du moins n’augmente pas. Elle a besoin pour reprendre son mouvement ascensionnel que les bienfaits de la paix réparent les désastres et comblent les vides dus à une si longue période de guerre.
En 1816 – la population est alors de 712 966 habitants, – on commence à s’appuyer sur des documents très exacts que fournit désormais la Statistique générale de la France publiée par le ministère de l’Agriculture et du Commerce, et le Bulletin de statistique municipale, publié par le préfet de la Seine.
Le chiffre du recensement de 1829 (890 431) est établi, pour la première fois, avec une précision aussi grande que possible.
En même temps la statistique multiplie de plus en plus les indications, arides en apparence mais plus utiles pour connaître la vie matérielle de Paris que bien des études qui ne sont que des exercices de rhétorique. C’est ainsi, pour ne citer qu’un exemple, qu’elle nous apprend qu’en 1832 un cinquième de la population est né dans les hôpitaux, un tiers y est mort.
Paris n’arrive au million d’habitants que vers le milieu du siècle (en 1846, 1 053 897 avec la population flottante), et c’est sous le second Empire qu’il trouve sa plus belle période d’accroissement (1 696 141 en 1861).
Les derniers recensement marquent un progrès continu mais en somme assez lent si on le compare au mouvement de la population dans la plupart des capitales de l’Europe.
1872 |
1 851 792 |
1876 |
1 988 806 |
1881 |
2 225 910 |
1891 |
2 424 705 |
1896 |
2 511 955 |
Le dénombrement de 1896 a révélé un fait assez grave, la diminution de la population dans dix arrondissements qui sont naturellement les plus riches. Dans le VIIIe arrondissement (Champs-Elysées), la diminution a été de 4 767.
En thèse générale, c’est dans les quartiers où on devrait avoir le plus d’enfants, qu’on en a le moins.
Cette population parisienne, qui avant une vingtaine d’années entrera dans sa période de décroissance, vit pour le moment à l’étroit dans un espace trop resserré. Paris occupe une surface de 78 kilomètres carrés, celle de Londres est de 360 kilomètres carrés. Il en résulte que la moyenne d’habitants par kilomètre carré est à Londres de 1 500 environ, et à Paris de 3 000, et dans le quartier le plus peuplé, le quartier Bonne-Nouvelle, elle atteint jusqu’à 12 000 ! Cette agglomération excessive a pour résultats inévitables le manque d’espace, de lumière et d’air, le développement plus rapide des maladies contagieuses, l’augmentation de la mortalité infantile.
L’examen et la comparaison des recensements indiquent, font toucher du doigt, un autre danger contre lequel il faudra bien, tôt ou tard, se mettre en garde : l’invasion croissante des étrangers. Il y en avait en 1872, 177 209 ; en 1896, 180 000, c’est-à-dire 75 (sans compte 47 naturalisés) par 1 000 habitants. Paris est une cité généreuse et hospitalière, mais la générosité doit s’arrêter là où commence la légitime préoccupation des intérêts de la patrie, et l’hospitalité, trop facilement accordée aux étrangers, est aussi imprudente que coupable, quand elle s’exerce au détriment des nationaux.
Henri d’ALMERAS.
Extrait du « Magasin Pittoresque » – 1901
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