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CHARENTONNEAU
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CINQUIEME PARTIE – Fiefs et Châteaux.
CHAPITRE 2
Charentonneau semble être d’origine aussi ancienne que le village de Maisons. C’est parfois Charentonnellum, Carentoniolo, ou Charentonnet ; il se pourrait du reste que certains de ces noms s’appliquassent à des parties différentes de ce qui constituait la seigneurie de Charentonneau.
Il est vraisemblable que non seulement le triangle formé par la Marne et la route de Créteil, depuis le pont jusqu’au-delà du château, mais encore ce qui fut plus tard la Poste aux chevaux, et le château d’Alfort, en faisaient partie, au début de sa formation.
En 1641, M. de Falcony avait réalisé de nouveau cette unité, en devenant possesseur en même temps des domaines de Charentonneau, d’Alfort et de la ferme de Maisonville.
En 1808, le baron Rodier, qui en était devenu propriétaire, avait agi dans le même sens, en remplaçant Alfort, devenu établissement de l’Etat, par de nombreuses pièces de terre ajoutées à celles des fermes de Charentonneau, de Maisonville et de l’Archevêché.
Quoiqu’il en soit, par suite d’acquisitions, d’échanges, de partages, ou de ventes, la contenance en fut changée bien des fois avant d’être ce que nous l’avons connue.
De 1170 à 1180, Thibaud, abbé de Saint-Maur, « exempte ses hommes de Carentoniolo de transporter les grains du monastère de Charenton au moulin des Portes ; » il y avait à cette époque trois moulins ; il s’agit sans doute de l’un d’eux.
« Par une charte du second dimanche après la Saint-André 1292, sur les prières des habitants sujets et censitaires de Maisons-sur-Seine, les abbés leur accordèrent une exemption d’aller moudre leurs grains au moulin banal de Charentonneau, sous la réserve de les y rappeler si besoin était. »
Il est vaguement question en 1240 et 1246 de Charentonnellum.
En 1281, l’abbé de Saint-Maur était propriétaire du moulin de Charentonneau, auquel les hommes de Maisons étaient sujets banniers ([1]) l’abbé et le couvent de Saint-Maur en consentirent un bail à rente le samedi avant la Saint-Remy 1281, à Allard Guichard de Varennes, et Alpédie sa femme, à la charge de payer chaque an seize septiers mouture à Noël, seize à Pâques, seize à la Nativité, et seize à la Saint-Remy ».
Dame Alix, ou Aulips de Charentonneau, femme de Guillaume de Morin, chevalier, fit, en 1285, un échange « avec Monseigneur fils du roi de Jérusalem, bouteiller ([2]) de France, par lequel elle lui donna deux arpents de terre sis à Charentonneau, devant la porte de ladite dame, tenant d’une part au chemin qui va de Charentonneau à Maisons, d’autre a la maison dudit seigneur ».
Ce bouteiller de France céda, en 1295, ses droits aux abbés des Vaux de Cernay, qui avaient un couvent à Charenton ; ils prirent le nom de seigneurs de Charentonneau, quoiqu’ils ne parussent y posséder à ce moment que quelques terres ; on ne dit pas, mais il est possible pourtant qu’ils eussent acquis en même temps une maison d’habitation.
Le 14 octobre 1377, le roi Charles V acheta de Nicolas Braque, son maître d’hôtel, « la maison qu’il avait à Charentonnel près du pont de Charenton, et ses dépendances » pour 3 200 livres d’or. Il la donna à Philippe de Mézières, chancelier de Chypre. Cette charte est datée de Beauté-sur-Marne, 1377.
Il ne semble pas que ce soit le château, mais plutôt quelque maison de plaisance dans le voisinage de la rivière, peut-être même, le château Gaillard dont il n’est pas encore question sous ce dernier nom.
A cette époque, le pont de Charenton est parfois désigné sous le nom de pont de Charentonneau.
En 1413, un nommé Charles Floret, est cité comme propriétaire de Charentonneau. En 1440, il appartenait à Jean de Lormoy, et Jacquette sa femme, qui le vendirent, le 5 juillet 1444 ; à Nicolas Duru, huissier au Parlement. Par le contrat de vente, ils spécifièrent : « que la consistance de ce fief était dans une place, jadis en manoir, granges, vergers, jardins, près le pont de Charenton, sur le chemin tendant à Créteil, duquel manoir, la porte d’icelui, en allant devant Créteil, était dans la censive de l’abbé de Saint-Maur, ainsi que plusieurs terres et prés contenant 26 arpents 62 perches et demie ».
Le reste était dans la censive « des religieux de Charenton », qui sont des Vaux-de-Cernay. »
Une autre partie relevait de l’Archevêché ; c’était :
1° – 4 arpents de prés sur le chemin de Charenton à Villeneuve.
2° – Une maison et un moulin à blé assis sur la rivière de Marne, faisant le premier moulin près le pont de Charenton nommé le Petit Moulin, sous le devoir de six sols parisis de cens.
La dîme appartenait à la seigneurie de Maisons ; un laboureur, Simon Guyot, demeurant à Charentonneau, fut condamné à payer à l’abbé de Saint-Maur, sept agneaux, pour la dîme de soixante-dix agneaux que lui avaient produits ses brebis en 1452 et 1453.
Louis d’Esves et Gillette sa femme, prétendirent que le moulin et le fief de Charentonneau étaient dans la féodalité directe de leur fief des Loges, et en arrière-fief de leur seigneurie de Courtery. En conséquence, ils firent saisir féodalement le moulin et le fief de « Charentonneau ou Charentonnet. »
Les abbés résistèrent et, en 1456, il y eut transaction, par laquelle les sieur et dame d’Esves reconnurent que les héritages dont la désignation suit étaient, « dans la censive et justice des abbés ».
« 1° – Dans le moulin de Charentonneau, sur la rivière de Marne.
« 2° – En partie du fief de Charentonneau, en commençant par le milieu de la grande porte de Charentonnel ou Charentonneau, en traversant tout hôtel jusqu’à la rivière de la Marne, du côté vers le moulin, comprenant la maison du fermier, les étables, écuries, greniers, les étuves, la cuisine, le four, une salle basse, une autre chambre ensuite, la moitié de la grande salle lambrissée sur le jardin, le tout tant haut que bas ; la cour, depuis le milieu de la porte devers le moulin, avec sa galerie, et le puits à poulie qui est en icelle.
« 3° – En terres et prés d’une contenance de 69 arpents 12 perches et demie, sis aux lieux dits : la Saulsaye, la Sablonière, le Pâtis de Charentonneau, les Noës de Charentonneau, les Buissons de Prévieu, les Noës de Charenton, les Noës de Saint-Père, la pointe de Prévieu, le Clos-Bourg, le Clos à la Louère. »
Dans un titre de 1495, un sieur Jean de Harcourt, comte de Vaudémont, est désigné comme propriétaire de Charentonneau, qui aurait pris le nom d’hôtel de Harcourt ; ainsi que nous l’avons déjà dit, nous supposons qu’il y a confusion avec l’hôtel d’Harrefort, à moins qu’il ne possédât les deux.
En 1523, il est question d’Olivier Aligret comme seigneur de Charentonneau ; il y avait à cette époque une chapelle dédiée à Notre-Dame de Saint-Jean ; elle existait encore en 1551.
Le 24 juillet 1550, il y eut une sentence qui permettait au seigneur « de faire redresser les fourches patibulaires à deux piliers, de la justice de Charentonneau ».
Richard de Pétremol et Jérôme du Four paraissent être propriétaires en commun de Charentonneau en 1611 ; il est au moins certain qu’ils y possédèrent des biens.
En 1659, l’abbaye des Vaux-de-Cernay, qui était propriétaire d’une partie de Charentonneau, la vendit à Louis de Falcony, que nous avons déjà vu propriétaire du château d’Alfort. « Cette partie consistait en un manoir, 70 arpents de terres labourables, 5 arpents d’îles, et 3 arpents et demi de prés, … ladite partie de terre, fief, seigneurie et justice de Charentonneau dans la mouvance ([3]), immédiate du Roi, à cause de la tour du Louvre ; » ce qui indique bien qu’il y avait plusieurs manoirs, hôtels ou châteaux portant le nom de Charentonneau.
M. de Falcony céda sa propriété de Charentonneau, en 1671, à René Gaillard, qui se fit par la suite appeler Gaillard de Charentonneau.
Ce M. Gaillard, et avant lui ses ancêtres, étaient vraisemblablement déjà habitants ou propriétaires du château voisin, auquel ils avaient donné leur nom.
Le domaine resta à la famille jusqu’à la Révolution ; en 1744, on mentionne le décès d’un sieur Gaillard père ; son fils lui succéda dans ses droits.
Il y avait à Charentonneau une prévôté qui connaissait de toutes les affaires de la seigneurie. Le prévôt était en même temps juge de paix, commissaire de police et huissier.
En compulsant le « répertoire du Greffe de la prévôté de Charentonneau (1724 à 1790) on trouve les mentions suivantes :
« 1726 – Expédition du procès-verbal de dégradation du jardin et clos de Château-Gaillard.
« 1730 – Le 7 juin, requête présentée à M. le prévôt par Pierre Mollet au sujet de sa femme trouvée noyée.
« 1752 – Plaintes par le procureur fiscal contre trois quidams pêcheurs de nuit.
« 1756 – Tutelles des mineurs Louis Ducharme.
« 1758 – Interrogatoire du sieur Ducloze détenu au Château-Gaillard.
« 1742 – Alignement de la maison de M. Sannegon.
« 1745 – Requête à M. le prévôt pour la permission de vendre de la viande dans le carême.
« 1772 – Permission donnée au sieur Le Bault de faire boucherie à Alfort.
« 1784 – Levée des cadavres des sieurs Fleury et son garde-moulin (trouvés noyés près le moulin de Charentonneau) dans laquelle minute sont renfermés les deux rapports en chirurgie.
En 1788, M. Gaillard, ancien conseiller à la Cour des Aydes, était encore propriétaire et seigneur haut justicier de Charentonneau ; la famille de ce nom posséda le château de 1671 à 1793, époque où il semble avoir été saisi comme bien d’émigré, pour être vendu plus tard au profit de la Nation.
En 1787, il avait été fait un inventaire des terres, il se résumait ainsi :
Sur Maisons : champtier de Charentonneau, des Prévieux, du chemin de Saint-Maur, de la grande Borne, du chemin de Brie, des Mêches, de Villiers, de Champoutre, du Deffoye, des Petits-Carreaux, du Port-à-l’Anglais, de la Butte-de-Grammont, des Bouvets, de la Bosse-de-Marne.
Ensemble 286 arp., 52 per., 1 pied
Sur Créteil : champtier du chemin de Saint-Maur, des Prévieux, des carrières de Créteil, des vignes de Maisons 55 arp., 52 per.,15 pieds
Sur Thiais [4] 30 –
Sur Saint-Maurice : Iles de Gravelle et des Corbeaux 25 arp., 99 per., 9 pieds
Total général, compris emplacement du château 399 arp., 19 per.,
Voici la désignation qui fut faite de la propriété en 1789 :
« Le château de Charentonneau, : « en mauvais état », jardin, bosquets et îles, 22 arpents évalués 300 livres de loyer.
« Un moulin et ses dépendances loué 1 970 livres.
« Moulin de Charentonneau et ses dépendances évalué 1 400 livres de loyer.
« La ferme, imposée pour 516 livres en principal. »
Nous n’avons que des présomptions en ce qui concerne la saisie et vente du domaine de Charentonneau comme bien national ; néanmoins sa nature de fief féodal semble avoir dû motiver cette mesure.
Nous trouvons, comme propriétaire en l’an XIV, le général Berthier, sans savoir à quelle époque il l’était devenu ; voici un relevé des impositions, établi à l’occasion d’une demande en dégrèvement :
[1] Sujets banniers, soumis à la banalité
[2] Bouteiller : Officier chargé du vin de la table du roi.
[3] Mouvance : Sous la dépendance.
[4] Sans doute pour Choisy.
CHARENTONNEAU
AN XIV. A Maisons, revenu et contributions
Château 600 fr
Parc et jardins 245 fr 25
Quinconces 20
Iles du moulin 70
Remises 85
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Total 1 020 fr 25
Pour la contribution, sur le pied de 0 fr 35 pour franc 366 fr 20
Contribution personnelle, mobilière, etc 142 fr 55
Portes et fenêtres 25 fr
Taxe de guerr 200 fr 30
Jardinier 1 fr 95
A CRETEIL
Remises, revenu 235 fr 10 57 fr 10
Taxe de guerre 10 fr 55
__________ _________
Totaux 1 255 fr 35 792 fr 65
AN 1807.
Il y aura lieu de demander le dégrèvement de la contribution mobilière et personnelle de 142 fr 55
_________
Il sera dû seulement 650 fr 10
MAISON DE MADAME.
AN XIV
Maison et jardin 272 fr 78 fr
Terres labourables (mémoire)
Contribution personnelle 31 fr 70
Portes et fenêtres 19 fr 70
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Totaux 272 fr 129 fr 40
Résumé
AN XIV
M. le général paiera 792 fr 65
Madame 129 fr 40
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Total 922 fr 05
AN 1807
M. le général paiera 650 fr 10
Madame 129 fr 40
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Total 779 fr 50
Nous ignorons s’il s’agit d’une Mme Berthier authentique, car le maréchal Berthier se maria en 1808, avec une princesse étrangère, et, à ce moment, Napoléon lui constitua le majorat du château de Grosbois. Il n’entre pas dans notre cadre d’éclaircir ce point d’histoire ; mais nous remarquons que Monsieur et Madame avaient chacun leur maison, et étaient imposés à part. Il y avait donc à ce moment deux habitations ?
Le baron Rodier Salièges devint acquéreur du domaine de Charentonneau le 31 janvier 1808. Il fut arrondi à diverses reprises, jusqu’à devenir plus étendu qu’il ne l’avait jamais été. Afin de faire disparaître les dernières enclaves, son possesseur acquit en 1810 deux pièces de terre sises à l’entrée de l’avenue en bordure de la route, de sorte que les clôtures, murs et haies, établies quelques années après, enfermèrent près de 200 hectares d’un seul tenant.
A la mort de M. Rodier, ses héritiers, MM. Pelet de la Lozère, Ravault et Rodier, le firent vendre sur licitation. M. Grimoult en acquit la plus grande partie, notamment celle close, le 17 août 1833 ; il a appartenu depuis à ses descendants, la famille Jouët-Pastré.
Depuis quelques années, on en a distrait successivement les terres non comprises dans l’enclos ; notamment, l’emplacement d’une portion du cimetière, une petite pièce au Moulin Neuf, le Champ Corbilly, dont les rues Jouët, Delalain et Grimoult ont pris les noms des anciens propriétaires ; puis le Buisson Joyeux, et d’autres pièces plus éloignées. Le château actuel n’a rien du vieux manoir féodal.
Si l’on s’y rend par l’avenue, on rencontre d’abord les bâtiments de la ferme, placés en arrière d’une place plantée de marronniers et paraissant de construction assez ancienne ; l’un de ces bâtiments, de forme circulaire, est couronné d’un clocheton.
Le principal corps de logis, auquel, d’après des titres anciens, on arrivait autrefois « par un chemin bordé de barrières, avec lunes et demi-lunes », est séparé de l’avenue par un fossé. On accède à la cour d’honneur par un pont fermé d’une grille. Cet édifice n’est pas bien remarquable, la façade en est simple ; seul le toit élevé rappelle le style Louis XIII. Sur le derrière, à gauche, il est flanqué d’une petite tourelle couverte en poivrière.
D’autres constructions moins importantes bordent la cour du côté droit ; on pénètre dans la première en franchissant le fossé, qui fait retour ; les autres sont de plain-pied.
A la suite, vers la rivière, sont les dépendances, d’origine certainement plus ancienne que le reste.
Un pont franchit le bras, en amont des ruines du moulin, et donne accès dans l’île.
Il ne reste du moulin, brûlé en septembre 1883, que la galerie mentionnée en 1456, ou celle qui l’a remplacée, sous laquelle on passe pour se diriger vers Alfort, et les piliers qui attendent une reconstruction problématique
Les artistes, grands et petits, qui ont reproduit ce moulin et le coin de paysage qui l’entoure, sont légion.
A gauche, surplombant le chemin, on voit des magasins aux murailles énormes ; à leur extrémité des fausses baies simulent une orangerie ; ensuite, au-dessus du chemin et du bras de rivière, un pont en fer relie l’île au parc.
Derrière le château, vers Alfort, existe une pelouse et le parc au sud, à la suite de la ferme, les jardins et serres, le tout clôt de murs ; en bordure de la rue d’Enfer et de son ancien tracé, en retour sur l’avenue, des tilleuls plusieurs fois centenaires ombragent une terrasse soutenue par un mur.
Ne mentionnons que pour mémoire une habitation tout à fait moderne placée en face du château, de l’autre coté de l’avenue.
Vue de la route de Créteil, cette propriété attirait surtout l’attention, par la grande quantité de lièvres, qui, en tout temps, s’ébattaient là, très peu effarouchés par les passants ; les lapins s’étaient réservé le voisinage de la Marne.
D’autre part, du plateau de Gravelle, elle offrait un coup d’œil admirable, par la variété des couleurs que donnaient à sa surface les différentes cultures : de là, peut-être, l’origine du nom de « la Belle-Image » donné à un des lieux dits qu’elle renferme.
Au moment où nous écrivons, le morcellement de Charentonneau est commencé. Les Sept Arbres, tant de fois peints, eux aussi, vont servir à l’installation d’un « Robinson » quelconque.
Les arbres en bordure de la Marne, en remontant vers Créteil, sont coupés ; les lièvres sont, pour la plupart, devenus civets, et les lapins, gibelottes ; au tapis multicolore qu’on admirait, succèdent les lignes droites d’une ville tracée à l’américaine et les restes du vieux moulin disparaîtront sans doute bientôt pour livrer passage à un quai.
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