S’il me reste un souvenir d’enfance vivace, c’est bien l’arrivée du bougnat qui venait livrer les sacs de charbon dans notre appartement parisien du 11° arrondissement.
Trônaient dans la grande cuisine, parmi d’autres meubles de moindre importance : la chaudière à charbon qu’il fallait alimenter, et l’énorme coffre en bois qu’il fallait remplir deux fois par an, et là commençait l’aventure !
Nous habitions au 4° étage de l’immeuble, sans ascenseur…
Le bougnat du quartier, situé rue Daval, qui livrait aussi du bois et dont l’échoppe sombre, toute en longueur, avec un comptoir en zinc, faisait également marchand de vins, arrivait devant la porte cochère de l’immeuble avec sa charrette à cheval, il était en bourgeron noir, un sac, genre sac à patates, sur la tête, et devait grimper les quatre étages avec un sac de charbon de 50 kg sur l’épaule (opération à renouveler quatre fois pour remplir le coffre…)
J’étais en même temps fascinée et terrifiée par sa venue : il était noir des pieds à la tête, y compris le visage, sauf le blanc des yeux, couvert de « poussier » et ne parlait pas (je présume que le malheureux devait avoir du mal à reprendre son souffle…) dans mon souvenir il n’était pas si jeune, mais je me méfie de mes souvenirs : tout ce qui avait plus de quinze ans était vieux…
Par contre ce qui m’amusait beaucoup et que je guettais, c’était quand ma mère ou ma grand-mère se mettait à crier, catastrophée : la pelle à charbon est restée au fond du coffre ! !
Il y avait 200 kg de charbon à gratter, j’avais essayé et j’avais eu droit à un bain complet avec passage au gant de crin… donc par la suite je regardais les choses d’un peu plus loin, sans intervenir.
A ce moment dramatique, entrait dans mes attributions de foncer chez le marchand de couleurs, de l’autre côté du boulevard (dévaler et grimper ces quatre étages – 80 marches en tout – plus d’une dizaine de fois par jour ne me faisait absolument pas peur à cette époque, je le faisais même en patins à roulettes). Lorsque la concierge n’était pas en vue, il m’arrivait de descendre sur la rampe de l’escalier le dernier étage, ce qui était formellement interdit, bien entendu !
Le bazar, marchand de couleurs, pratiquement en face de chez nous, avait toujours un stock de pelles à charbon, et quand il me voyait arriver essoufflée avec un billet plié dans la paume de la main, il avait un sourire, attrapait sa grande perche munie d’un crochet et allait directement décrocher au plafond de son magasin la petite pelle dont je connaissais bien la forme. Nous avons eu ainsi à la maison, au fil du temps, tout un assortiment de pelles à charbon… J’aurais dû les garder et j’aurais pu en faire une expo sur l’évolution de la pelle à charbon…
Après le passage du bougnat , la cuisine devait être lessivée : tout était recouvert d’une poussière noire, et je comprends mieux maintenant le regard déprimé de ma mère.
Adhérent-CGMA-Sylvie-R-152
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