|
Sur un banc du jardin, à l’ombre d’une treille |
Disposée en berceau contre un soleil ardent, |
Le Juge était assis avec un Intendant |
Militaire. C’était merveille |
De les entendre discourir |
Sur tous sujets, comme deux sages |
Qui mettent en commun une heure de loisir. |
Et le ciel était sans nuages. |
Or, soudain, le Juge sentit |
Une averse sur son habit. |
Ho ! dirent-ils, d’où vient cette onde ? |
Sans être augure, ni marin, |
On sait que, par un ciel serein, |
Il ne pleut guère en ce bas monde. |
Le mystère ne fut pas long : |
L’Intendant, d’un regard profond, |
Découvrit, caché dans la treille, |
Suçant une grappe vermeille, |
Un rat … un énorme rat noir, |
Dont l’œil pétillait de malice. |
Ce misérable avait pissé sur la justice |
Et ne semblait s’en émouvoir ! |
Rien que la mort n’était capable |
De faire comprendre au coupable |
L’énormité de son méfait. |
Dès lors il fut, à cet effet, |
Procédé comme il convenait |
Dans l’espèce. Sans autre enquête, |
Un jeune et courageux garçon, |
Armé d’un fusil de salon, |
Fut mandé pour tirer sur l’insolente bête. |
Pan ! le coup part. Mais, – l’on dira |
Là-dessus ce que l’on voudra, – |
Il ne parut point que le rat |
En éprouvât la moindre gène. |
Il ne prit même pas la peine |
De se détourner du raisin |
Qu’il savourait d’un air malin. |
Toutefois, une oreille fine, |
– Celle d’une aimable cousine, – |
Crut ouïr qu’il grognait tout bas : |
« C’est dégoûtant ! On ne peut pas |
« Maintenant, sans mésaventure, |
« Satisfaire tranquillement |
« Le moindre besoin de nature. |
« Voyez le gros événement ! |
« Ces gens sont vraiment susceptibles : |
« Qu’eussent-ils fait, Grands Dieux ! si le jus laxatif |
« Que j’absorbe avait eu des effets plus sensibles |
« Sur mon appareil digestif ? |
« Quoi ! pour une innocente pluie, |
« Ils cherchent à m’assassiner ! |
« Je vais leur fausser compagnie, |
« S’ils troublent encor mon dîner. « |
L’Intendant se leva. Quand, dans l’infanterie, |
Trente ans auparavant, il servait la patrie, |
Il avait obtenu de nombreux prix de tir. |
Il saisit le fusil. Le dénouement du drame |
Approchait. Au fond de leur âme, |
Les témoins se sentaient frémir. |
Il ajuste. Il fait feu … Sans souci de la balle, |
Le rat détale. |
Et jamais il ne comprendra |
Qu’il n’est permis de prendre en aucune manière |
Le dos d’un magistrat pour une pissotière ! |
Enfants, n’imitez point l’exemple de ce rat. |
|
Lespéret, 22 Septembre 1900. |
Gabriel Ducuing. |